Troisième colloque sur les défis en droit international des réfugiés

Organisé par le Programme en droit d’asile et des réfugiés
Ecole de droit de l’Université de Michigan
26-28 mars 2004


LES RECOMMANDATIONS DE MICHIGAN SUR LA CRAINTE AVEC RAISON




Une personne est un réfugié, au sens de la Convention, seulement s’il ou elle peut être considérée comme « craignant avec raison » d’être persécutée. Alors qu’il est généralement admis que l’exigence de « craignant avec raison » limite le statut de réfugié aux personnes qui encourent un risque réel et futur d’être persécutées (« l’élément objectif »), l’ambiguïté linguistique a donné lieu à une divergence de vues sur la question de savoir si le test s’accompagne aussi d’une évaluation de l’état d’esprit de la personne demandant la reconnaissance du statut de réfugié (« l’élément subjectif »). 

La vue selon laquelle l’évaluation de la crainte avec raison inclut une considération de l’état d’esprit de la personne demandant la reconnaissance du statut de réfugié est généralement appliquée selon l’une des trois manières suivantes. L’approche prédominante définit l’expression de “crainte” , dans le sens d’inquiétude,  comme l’un des deux éléments essentiels du test de crainte avec raison. Il en résulte que le statut de réfugié peut être refusé aux demandeurs en risque qui n’ont pas de crainte subjective ou dont la crainte subjective n’est pas reconnue comme telle par le décideur. Une seconde vue ne traite pas l’existence de crainte subjective comme un élément essentiel, mais la considère plutôt comme un facteur susceptible de renverser l’insuffisance de preuve de risque réel. Selon cette formulation, les personnes qui sont plus timides ou expressives, ou qui sont simplement capables d’articuler  leurs inquiétudes de manière reconnaissable par le décideur, sont relativement avantagées par rapport à d’autres qui encourent  le même niveau de risque réel, mais sont plus courageuses, plus réservées, ou dont les expressions de crainte ne sont pas reconnues comme telles. Une troisième interprétation de l’élément subjectif ne conditionne pas le statut de réfugié à la preuve d’inquiétude, pas plus qu’elle n’avantage les demandes où une telle inquiétude existe. L’exigence de prendre en considération la “crainte” est plutôt traitée comme une obligation générale de prêter attention, dans l’évaluation du statut de réfugié, aux circonstances particulières et aux vulnérabilités personnelles du demandeur.

Nous avons conduit une étude en collaboration et une réflexion soutenues sur les fondements jurisprudentiels et doctrinaux du standard de crainte avec raison, et avons conclu que continuer à distinguer les éléments “objectifs” et “subjectifs” du standard de crainte avec raison risque de déformer le processus  de détermination du statut de réfugié. L’existence d’une crainte subjective, au sens d’inquiétude, ne devrait  être ni une condition précédant la reconnaissance du statut de réfugié, ni favoriser un demandeur qui encourt un risque insuffisamment  bien établi. Une approche qui, dans le but de prendre en considération les vulnérabilités et les circonstances d’un demandeur, reconnaît un élément subjectif, ne pose pas de risques de protection du genre de ceux associés avec la première interprétation d’un élément subjectif ; ni ne soulève de préoccupations de partialité liées à la seconde approche. Se fonder sur un élément subjectif pour particulariser l’investigation de crainte fondée est, quoiqu’il en soit, superflus, et pourrait entraîner une dépréciation de la preuve de valeur dans l’évaluation du risque réel d’être persécuté.

Les présentes recommandations sont destinées à promouvoir une interprétation commune d’une approche unifiée de l’examen de la crainte avec raison et des aspects connexes de la définition de la Convention de Genève qui évite les risques de protection de plus en plus associés avec les affirmations d’un “élément subjectif”, et assure à la fois qu’une considération adéquate est accordée à tous les risques particuliers qu’encourt un demandeur pour la reconnaissance du statut de réfugié.

Ne peut ou ne veut

[1] L’état d’esprit d’un demandeur mérite d’être pris en considération pour déterminer si il ou elle “ ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer” de la protection de son ou ses pays de citoyenneté ou, dans le cas d’une personne apatride, du pays ou des pays de résidence habituelle. En particulier, selon la Convention, l’obligation de protection d’un Etat partie est engagée à travers l’expression, par ou au nom d’un demandeur, de l’impossibilité ou de l’absence de volonté de se réclamer de la protection du pays ou des pays appropriés.

[2] L’expression requise d’impossibilité ou d’absence de volonté  ne doit pas être rendue dans une forme particulière. En substance, le demandeur devrait seulement apporter une information ou formuler des demandes qui pourraient engager  les obligations de l’Etat au sens de la Convention des réfugiés .

Crainte avec raison

[3] Contrairement à la question de savoir si un demandeur ne peut ou ne veut se réclamer de la protection du pays d’origine, l’évaluation de la crainte avec raison  n’inclut pas une évaluation de l’état d’esprit du demandeur.

[4]
Qui plus est, la protection de la Convention des réfugiés n’est pas fondée sur l’existence d’une “crainte” au sens d’inquiétude. Elle exige plutôt la démonstration de “crainte” entendue comme une attente future de risque. Une fois que la crainte ainsi conçue est exprimée par l’acte de réclamer protection, il revient à l’Etat partie, évaluant le statut de réfugié, de déterminer si cette attente cadre avec les circonstances réelles de la cause. Si tel est le cas, on devrait alors en conclure que le demandeur craint avec raison d’être persécuté.

[5] Une interprétation de “crainte” comme une attente future de risque est complètement justifiée par l’un des simples sens du texte anglais, et se trouve confirmée par les interprétations dominantes du texte de langue française (“craignant avec raison”), faisant également foi, et lesquelles n’incluent pas une inquiétude subjective. Cette construction évite les nombreux risques pratiques inhérent au fait de tenter d’évaluer objectivement les sentiments et émotions du demandeur. Qui plus est, elle est en harmonie avec la structure interne de la Convention, par exemple avec le principe selon lequel le statut de réfugié cesse quand le risque réel d’être persécuté vient à prendre fin, et non sur la base de l’absence d’inquiétude (Art. 1 (C) 5-6), et avec le fait que l’obligation centrale de non-refoulement  s’applique là où il y a  un vrai risque d’être persécuté, sans prendre en considération si le réfugié  s’inquiète d’un tel risque (Art.33). Plus généralement, le contexte des droits de l’homme de la Convention exige que protection soit  également accordée à tous sur la base de preuve d’une forme de risque réelle et pertinente.

[6]
La détermination portant sur le fait de savoir si la “crainte” du demandeur – dans le sens d’attente future de risque – est ou n’est pas “avec raison” est ainsi, par nature, une question purement de preuve. Elle exige que l’Etat partie évaluant le statut de réfugié détermine si le demandeur court un risque important d’être persécuté. Bien que  la seule chance ou la possibilité lointaine d’être persécuté ne suffisent pas à établir une crainte avec raison, le demandeur n’a pas besoin de montrer qu’il existe une réelle  probabilité qu’il ou elle sera persécuté.

Etablir la crainte avec raison

[7] Pour déterminer si un demandeur court un risque important d’être persécuté, toute preuve matérielle, quelle qu’en soit la source, mérite d’être considérée avec soin, et en tenant compte du contexte. Une attention égale devrait être accordée à toutes formes de preuve matérielle,  une décision sur la valeur relative à assigner à différentes formes de preuve étant prise sur la base  de la véracité relative et  de la force de conviction de la preuve apportée.

[8] Une preuve particulière au demandeur, y compris la preuve de persécutions personnelles et pertinentes passées, est directement  utile  pour la détermination de la crainte avec raison, mais ne constitue pas une condition prérequise. Tout demandeur qui, avant le départ  de son pays d’origine, ne fut  ni sujet  de persécutions ni directement menacé de persécutions, peut établir, par toute autre preuve, une crainte avec raison d’être persécuté dans un avenir prévisible.

[9] L’évaluation de crainte avec raison peut largement, ou même principalement, se faire sur la base du témoignage crédible du demandeur. Bien que la déclaration du demandeur ne soit pas nécessairement la meilleure preuve de risque futur, elle peut bien constituer, selon les circonstances de la cause, la meilleure preuve de risque.

[10] A la lumière de l’obligation commune de recherche des faits, un demandeur devrait  faire de son mieux pour apporter à l’Etat partie évaluant le statut de réfugié tout élément corroborant son témoignage.  Cependant, là où un tel élément ne peut être raisonnablement obtenu, le seul témoignage crédible et irréfuté du demandeur suffit à établir une crainte avec raison d’être persécuté.

[11] Le témoignage du demandeur  ne peut être considéré non crédible que sur la base  d’une préoccupation spécifique et convaincante portant sur sa véracité à propos d’un point important et substantiellement  pertinent.

[12] Même si l’on vient à découvrir que la déclaration du demandeur n’est pas crédible, dans son ensemble ou en partie, le décideur doit néanmoins évaluer  le risque réel encouru par le demandeur sur la base d’autres preuves matérielles. En particulier, l’existence d’une crainte avec raison peut être fondée sur la preuve que le demandeur est un membre d’un groupe de personnes courant un risque important d’être persécutées, tel qu’en témoignent les données crédibles sur le pays ou les déclarations crédibles d’autres personnes.

Etre persécuté

[13] Les circonstances particulières d’une personne demandant la reconnaissance du statut de réfugié ne sont pas simplement pertinentes quant à la question de savoir s’il ou elle peut être considéré comme ayant une crainte avec raison. La détermination portant sur le point de savoir si le risque encouru est adéquatement jugé comme correspondant à un risque d’ “être persécuté” exige aussi une considération sérieuse des questions qui peuvent être particulières à l’individu concerné.

[14] Comme règle générale, la détermination portant sur le point de savoir si un risque donné équivaut à un risque d’“être persécuté” devrait examiner les caractéristiques et circonstances personnelles de chaque demandeur, étant entendu que, par vertu de telles caractéristiques et circonstances, certaines personnes vont souffrir un dommage différent résultant d’une menace ou action commune.

[15] Ainsi, par exemple, les faiblesses psychologiques d’un demandeur spécifique peuvent être telles que le risque de dommages qui ne pourrait pas s’avérer  suffisamment grave pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié à la plupart de personnes, va néanmoins correspondre, pour lui ou pour elle, à la torture, à un traitement inhumain ou dégradant. Là où il en est ainsi,  le risque futur de tels dommages psychologiques peut, à juste titre, être considéré comme un risque d’ “être persécuté”.


Ces recommandations reflètent le consensus de tous les participants au troisième colloque sur les défis en droit international des réfugiés, tenu, du 26 au 28 mars 2004, à l’Ecole de droit de l’université de Michigan, Ann Arbor, Etats-Unis d’Amérique.


Les délibérations du colloque ont bénéficié des conseils de
Mr Christoph Bierwirth
Senior  Liaison Officer
United Nations High Commissioner for Refugees, Geneva

La traduction française du texte a été assurée par
Dr Jacques Mangala
Grand Valley State University, Michigan