LES RECOMMANDATIONS DE MICHIGAN SUR LA PROTECTION AILLEURS

Adoptées le 3 janvier 2007




 
LES RECOMMANDATIONS DE MICHIGAN SUR LA PROTECTION AILLEURS

Adoptées le 3 janvier 2007

Les réfugiés sont de plus en plus confrontés aux lois et politiques qui stipulent que leurs besoins de protection seront considérés ou rencontrés ailleurs que sur le territoire de l’Etat où ils on demandé ou entendent demander protection.

De telles politiques—en ce inclus “pays de premier accueil,” “tiers pays sur” ainsi que les pratiques et règles d’examen extraterritorial-soulèvent à la fois opportunités et défis pour le droit international des réfugiés. Elles ont le potentiel de répondre à la préoccupation de la Convention de 1951 sur les réfugiés selon laquelle “il peut résulter de l’octroi du droit d’asile des charges exceptionnellement lourdes pour certains pays” en distribuant plus équitablement les responsabilités de protection parmi les Etats. Mais insister que la protection soit pourvue ailleurs peut aussi résulter dans le déni aux réfugiés de leurs droits en vertu de la Convention des réfugiés et du droit international en général. Le défi consiste à identifier les voies par lesquelles le régime de protection peut être rendu plus flexible sans pour autant compromettre les droits des réfugiés.

Nous nous sommes engagés, à cette fin, dans une étude en commun et une réflexion soutenue des fondements légaux de politiques de protection ailleurs. La recherche conduite par le Programme de recherche en droit international des réfugiés de l’Université de Melbourne a été débattue et affinée au Quatrième colloque sur les défis en droit international des réfugiés organisé en novembre 2006 par le Programme en droit d’asile et des réfugiés de l’Université de Michigan. Les présentes recommandations sont le produit de cette entreprise. Elles reflètent le consensus des participants au Colloque sur les exigences légales minimales de validité de politiques de protection ailleurs, aussi bien que nos vues sur les procédures par lesquelles les obligations légales internationales peuvent être remplies, de façon certaine, dans l’application de telles politiques.

Quand il est permis d’appliquer des politiques de protection ailleurs

[1] La Convention de 1951 et le Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (“Convention”) n’interdisent ni n’autorisent expressément le recours aux politiques de protection ailleurs. En tant que telles, les politiques de protection ailleurs sont compatibles avec la Convention aussi longtemps qu’elles garantissent que les réfugiés définis à l’art. 1 jouissent des droits consacrés aux arts. 2–34 de la Convention.

[2] Compte tenu du fait que la Convention n’envisage pas la dévolution des responsabilités de protection à une entité nonétatique, le partage de la responsabilité de protection doit avoir lieu entre et parmi les Etats. Bien qu’il soit préférable que l’Etat à qui la protection est assignée (“Etat d’accueil”) soit partie à la Convention, un tel statut n’est pas une exigence d’application d’une politique de protection ailleurs qui respecte le droit international.

[3] Le recours à une politique de protection ailleurs doit être précédé d’une évaluation empirique de bonne foi, par l’Etat qui propose d’effectuer le transfert (“Etat d’envoi”), que les réfugiés définis à l’art. 1 pourront en pratique jouir, au sein de l’Etat d’accueil, des droits garantis aux arts. 2–34 de la Convention. Les accords et assurances formels sont pertinents pour cet examen, mais ne représentent pas une base suffisante pour un transfert légal sous une politique de protection ailleurs. L’Etat d’envoi doit plutôt s’enquérir, de lui-même, de tous les faits et décisions relatifs à la disponibilité de protection dans l’Etat d’accueil.

[4] A moins que l’Etat d’accueil ne reconnaisse le statut de réfugié de la personne devant être transférée ou qu’il pourra en fait assurer que tous les droits garantis aux arts. 2–34 de la Convention lui sont accordés sans qu’il ne soit besoin d’une reconnaissance de statut de réfugié, tout transfert de la responsabilité de protection doit être conditionné à un engagement de l’Etat d’accueil d’accorder à la personne transférée une opportunité légale et matérielle significative de présenter son ou sa demande de protection. L’Etat d’envoi doit, en particulier, s’assurer que l’Etat d’accueil interprète le statut de réfugié d’une manière qui respecte le sens autonome et véritable de la définition de réfugié consacrée à l’art. 1 de la Convention.

[5] En l’absence d’une preuve individualisée de risque fondé sur les raisons de sécurité nationale ou d’ordre publique, l’art. 32 de la Convention interdit l’expulsion d’un réfugié se trouvant régulièrement sur le territoire d’un Etat vers tout autre Etat, même s’il n’y court aucun risque d’être persécuté. Un transfert de la responsabilité de protection qui respecte les exigences de droit international ne peut en conséquence intervenir qu’avant que le réfugié concerné ne soit “régulièrement” sur le territoire de l’Etat d’envoi. Une présence régulière doit être définie par l’Etat d’envoi de bonne foi et en accord avec les exigences de droit international. Quoiqu’il en soit, une présence régulière ne peut être établie plus tard qu’au moment où intervient une décision d’admissibilité de la demande de protection.

Respect des droits des réfugiés

[6] L’obligation de non-refoulement consacrée à l’art. 33 de la Convention représente la contrainte la plus fondamentale pour l’application d’une politique de protection ailleurs. Parce que l’obligation consiste à s’abstenir des actes qui résultent dans l’expulsion ou le retour du réfugié aux frontières d’un territoire où sa vie ou sa liberté serait menacée “de quelque manière que ce soit,” l’art.33 interdit le refoulement indirect tel qu’il a lieu quand le réfugié est envoyé vers un Etat dans lequel il y a un risque possible de refoulement subséquent. Pour la même raison, les actions qui consistent à aider, encourager, ou assister de quelque manière un autre Etat à violer l’art. 33 sont elles-mêmes en contravention de l’obligation de non-refoulement.

[7] Un Etat est en violation de l’art.33 là où une expulsion ou un retour interdit est attribuable à cet Etat en vertu du droit international. Une attribution de responsabilité s’ensuit, entre autres, là où le retour ou l’expulsion est effectué par un représentant de l’Etat, quand bien même il ou elle agit en outrepassant son autorité ou en violation des instructions; par une personne privée ou une entité agissant sur la base des instructions ou sous la direction ou le contrôle de l’Etat ; aussi bien que par les représentants ou les organes d’un autre Etat mis à la disposition de l’Etat.

[8] Un réfugié n’a pas simplement droit à la protection contre le refoulement mais, plus généralement, au bénéfice des droits civils et socioéconomiques consacrés aux arts. 2–34 de la Convention. En tant que tel, tout réfugié transféré doit bénéficier, au sein de l’Etat d’accueil, de tous les droits conventionnels auxquels il ou elle a droit au moment du transfert. Il ou elle doit aussi recevoir, au sein de l’Etat d’accueil, tous les droits supplémentaires tels que requis par les exigences de la Convention.

[9] L’évaluation du respect de droits des refugies prendra en considération le fait que la plupart de ces droits ne sont ni immédiatement dûs ni absolus dans leur caractère. En particulier, les droits dûs à un réfugié augmentent comme le niveau d’attachement à l’Etat de protection augmente avec le temps. Certains droits prennent effet dès qu’un réfugié se trouve sous le contrôle ou l’autorité d’un Etat (ex. non-refoulement); d’autres une fois que le réfugié se trouve physiquement présent sur le territoire d’un Etat (ex. droit aux pièces d’identité); de droits supplémentaires sont dûs une fois qu’une présence régulière est établie (ex. professions nonsalariées); la résidence régulière ouvre la voie à une gamme de droits plus étendue (ex. accès au logement et aux systèmes de sécurité sociale); et un petit nombre de droits ne sont dûs seulement que lorsqu’une résidence durable est établie (ex. dispense de réciprocité législative).

[10] L’évaluation du respect de droits des réfugiés devra aussi prendre en considération le fait que la satisfaction des droits conventionnels n’est pas, dans la plupart de cas, conçus en termes absolus, mais qu’elle est plutôt définie par référence aux droits dont jouissent les autres au sein de l’Etat d’accueil. Par exemple, les réfugiés ont droit au même droit à l’enseignement primaire que les nationaux ; au même droit aux professions salariées que les ressortissants d’un pays étranger le plus favorisé; et au même droit à la liberté de circulation dont jouissent les étrangers en général.

[11] En plus de s’assurer que tout réfugié transféré vers l’Etat d’accueil pourra, en pratique, jouir de droits en accord avec les exigences des arts. 2–34 de la Convention, l’Etat d’envoi doit aussi donner effet à ses obligations en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire. L’obligation de ne pas retourner qui que ce soit vers le risque de torture est un exemple clair d’une interdiction découlant hors de la Convention des réfugiés, et qui limite le recours à une politique de protection ailleurs qui, autrement, serait légale.

Garde-fous

[12] Toute personne devant être transférée vers un autre Etat sous une politique de protection ailleurs doit être en mesure de contester la légalité du transfert proposé avant qu’il ne soit mis en oeuvre. L’Etat d’envoi notifiera de ce droit toute personne devant être transférée, et considérera, de bonne foi, toute contestation de la légalité de transfert selon une procédure qui rencontre les standards internationaux d’équité procédurale. Une telle procédure doit en particulier comporter un mécanisme de recours effectif en ayant à l’esprit la nature des droits supposés être à risque au sein de l’Etat d’accueil.

[13] En accord avec les exigences de l’art. 31(2) de la Convention, tout réfugié dont le renvoi est envisagé sous une politique de protection ailleurs devrait d’abord se voir accorder “un délai raisonnable ainsi que toutes facilités nécessaires” pour obtenir l’admission dans un autre pays de son choix.

[14] Si un Etat d’accueil ne réussit pas à garantir qu’une personne transférée qui répond aux exigences de l’art. 1 de la Convention reçoit le bénéfice des arts. 2–34 de la Convention, les obligations originelles de l’Etat d’envoi à l’égard de ce réfugié ne sont plus satisfaites par le recours au transfert de la responsabilité de protection. L’Etat d’envoi doit, dans ces circonstances, faciliter le retour et la réadmission du réfugié en question sur son territoire, et y garantir le respect de ses droits en accord avec les exigences de la Convention.

[15] Un Etat d’envoi dont les représentants ou les décideurs ont une connaissance réelle ou supposée de la violation par l’Etat d’accueil de son obligation de se conformer aux exigences des arts. 1–34 de la Convention ne sera ordinairement pas en mesure d’établir que les obligations conventionnelles sont respectées au sein de l’Etat d’accueil. Il lui est par conséquent interdit de n’effectuer aucun autre transfert vers cet Etat sous une politique de protection ailleurs jusqu’à ce que et à moins qu’il n’y ait une preuve évidente de cessation de la violation.

[16] Tout transfert sous une politique de protection ailleurs devrait idéalement intervenir uniquement sous les auspices d’un accord écrit entre les Etats en question. Au minimum, un tel accord devrait stipuler l’obligation de l’Etat d’accueil de respecter le statut de réfugié des personnes définies à l’art.1 de la Convention ; reconnaître aux réfugiés transférés les droits prévus aux arts. 2–34 de la Convention; garantir aux réfugiés transférés le droit et la possibilité de notifier au Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) toute violation supposée des responsabilités de l’Etat d’accueil; accorder au HCR le droit d’être présent au sein de l’Etat d’accueil et de jouir d’un accès illimité aux réfugiés transférés afin de surveiller le respect des responsabilités de l’Etat d’accueil à leur égard ; et de se conformer à une procédure (établie par l’ accord ou toute autre voie) de règlement de tout différend résultant de l’interprétation ou de l’exécution de l’accord.



Ces recommandations reflètent le consensus de tous les participants au Quatrième colloque sur les défis en droit international des réfugiés tenu, du 10 au 12 novembre 2006, à l’Ecole de droit de l’Université de Michigan, Ann Arbor, Etats-Unis d’Amérique.

  
James C. Hathaway
Organisateur du colloque
Université de Michigan
Rodger P.G. Haines
Président du colloque
Université de Auckland

Michelle Foster
Rapporteur du colloque
Université de Melbourne
 
Mariano-Florentino Cuellar
Université de Stanford
Maryellen Fullerton
Ecole de droit de Brooklyn

Honorable A.M. North
Cour Fédérale d’Australie
Président de l’Association
internationale des juges
aux affaires des réfugiés

Mary Ellen O’Connell
Université de Notre Dame



Guglielmo Verdirame
Université de Cambridge


Marjoleine Zieck
Université d’Amsterdam

 

Hedy Chang
Etudiant
Université de Michigan
Martin Jones
Chercheur invité
Université de Michigan
Alla Karagodin
Etudiant
Université de Michigan

Sarah Karniski
Etudiant
Université de Michigan
 
Alison Kent
Etudiant
Université de Michigan
Alicia Kinsey
Etudiant
Université de Michigan
Abby Rubinson
Etudiant
Université de Michigan
Lindsey Schatzberg
Etudiant
Université de Michigan
Rachel Simmons
Etudiant
Université de Michigan
 
Aref Wardak
Etudiant
Université de Michigan




Les délibérations du colloque ont bénéficié des conseils de
Mme Judith Kumin
Représentant Régional pour le Benelux et les Institutions Européennes
Office du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés

La traduction française du texte a été assurée par
Dr. Jacques Mangala
Université Grand Valley State, Michigan